D’habitude, c’est une casquette qui vous parle. Modèle fin XXe siècle. NOIRE. Des allures de fausse couronne ou de casque militaire, on ne sait pas. Elle vous balance un “Paris” brodé et bordé de flammes jaunes… Et puis THIERRY THÉOLIER, aka THTH, la dépose sur la table. Il enlève aussi ses bagouzes, ses lunettes, tout son attirail. Ça lui pèse sans doute moins lourd. Parce qu’il en porte déjà pas mal sur ses épaules, des obsessions, des chaos, des mots, et pas des plus tendres. Tellement abrupts et opaques et fragiles qu’il ne les couchera peut-être jamais directement sur du papier. On le dit anti-écrivain, anti-littéraire, et pourtant, c’est pas le goût de la langue qui lui manque. Son langage est trop contradictoire, cassant, contestataire de lui-même pour tenir dans les formes habituelles. L’“ANTI” n’a d’ailleurs jamais été “HORS DE”, au contraire. Et c’est même en antihéros qu’il est connu dans le coin : en refus constant des poseurs bidons du microcosme parisien, la hype, le système établi, etc. etc. …
Enfin, c’est le plus naturellement du monde que THTH écrit sur le WEB, vit et vient du WEB, là où la réalité ne cesse d’être remise en question. D’ailleurs, tout au début de son bouquin Crevard, il ne faut pas s’étonner de recevoir un message instantané Microsoft Explorer de la part du bon vieux BLANCHOT qui nous prépare à « une matière sans contour, un contenu sans forme, une forme capricieuse et impersonnelle qui ne dit rien, ne révèle rien et se contente d’annoncer, par son refus de rien dire, qu’elle vient de la nuit et qu’elle retourne à la nuit. »
Antoine Jobard – Tu as voulu qu’on se rencontre ici, à Belleville, et on dirait bien que cette ville, Paris, est une vraie part de toi. Quel a été ton parcours ?
THTH – Je viens de banlieue et ma culture est banlieusarde. Ma famille est d’Algérie, pieds-noirs. Donc je suis pas du tout ce qu’on appelle un insider, un initié, un branché… je suis parti de France à une époque et je suis revenu à Paris, à 26 ans. Ça fait donc à peu près 10 ans qu’effectivement, j’explore les réseaux parisiens. Alors je connais un certain Paris, celui de Taxi Girl, de Daniel Darc, le Paris “P.A.R.I.S.”. C’est-à-dire qu’avec mon expérience de Paris, ma culture qui est celle de la New Wave et du Punk, j’ai tout de suite décidé d’occire complètement le Paris rive gauche qui ne m’intéresse pas. Donc je ne m’intéresse qu’au Paris rive droite. Et là on est à Belleville, au Vieux Saumur, et j’ai pas pris rendez-vous au Café de Flore.
A. J. – C’est important pour toi de te situer par rapport à des lieux qui symbolisent un certain aspect de la littérature ? Tu te perçois dans une continuité ?
THTH – D’abord je suis anti-littéraire, parce que j’ai toujours écrit sur le WEB qui est l’antéchrist de la littérature.
J’ai eu un contact physique avec l’écriture sous forme de nouvelles quand j’avais 17 ans et que je travaillais à Cannes. Et j’ai écrit des textes parce que j’étais très influencé par Philippe Djian, que j’ai rencontré dernièrement et à qui j’ai envoyé mon livre.
Je ne suis pas du tout dans une continuité, je suis dans une rupture. C’est-à-dire qu’avant moi, y’a personne. Personne n’a fait ce que j’ai fait.
Je suis apparu avec le web. Mon écriture est issue du web. Pas d’autre chose. Le web m’a fait écrire. J’ai pas écrit pour le papier, pour qu’il soit publié en livre. J’ai parlé à partir du téléphone 2.0 qui est le web. Le slogan c’est : LA LITTÉRATURE EST MORTE, VIVE LE TÉLÉPHONE! Pour le meilleur et pour le pire.
A. J. – Quel est ton instrument si tu n’utilises pas de plume ?
THTH – Le clavier, l’ordinateur, un PC dégueulasse… et si t’as une image à avoir, imagine deux PC, deux modems, deux écrans, et j’ai tout en double pour ne pas être déconnecté un jour ou l’autre parce que j’ai horreur d’être déconnecté.
A. J. – Il y a quelque chose de l’homme-machine en toi… Tu es donc constamment connecté ? Comment ça se passe dans l’écriture physique ?
THTH – C’est simplement que dans la connexion, le temps qui fuit me fait écrire rapidement avec des slashs, des majuscules… Et puis peut-être aussi sans le savoir ni le vouloir, c’est comme de l’haïku, synthétiser le maximum d’une sensation. Mais c’est pas de l’écriture automatique. Je laisse libre court à mon flux, à mon speed, et j’aime bien aussi le fait d’envoyer vite la purée, sans parler d’une allégorie sexuelle.
A. J. – Mais tu as une certaine esthétique alors ?
THTH – Je pense avoir la même esthétique que Guillaume Dustan. S’il y en a un seul à qui je dois me fier, c’est Guillaume Dustan. Parce qu’à la fin de sa vie, il écrivait exactement comme je blogue, ou plutôt je SPAMME. Le terme bloguer ça m’emmerde, moi je spamme. Je parle sur le web et pour moi, c’est spammer. Je veux passer par le web mail directement, et puis que ça aille sur mon blog ensuite, c’est beaucoup mieux. Ouvrir un blog, c’est comme ouvrir un traitement de texte et ça, je déteste. C’est comme maintenant que je te parle, je spamme parce que je n’aime pas écrire, je préfère parler. C’est l’écriture orale, d’ici, maintenant, tout de suite. Si on pouvait m’enregistrer au lieu de me lire, ça serait parfait. Ce qui est intéressant c’est que le flux oral est interrompu par cette continuité organique des bras, des doigts et du clavier. Donc ça crée quelque chose, ça influence mes idées, surtout mon chaos personnel. Je suis toujours dans l’instant.
Alors tu vois, je réfléchis pas du tout en termes littéraires.
Je suis pas du tout un écrivain, je suis juste un spammeur.
Après c’est pas à moi de dire qui je suis. Si certains pensent que je suis écrivain, tant mieux, parce que c’est vrai que j’ai un certain amour pour certains personnages littéraires, ceux qui ont eu des alter egos réels. Et alors là du coup, je suis un BUG.
Ma spécialité c’est de bugguer les dialectiques.
Je crois qu’avant d’être écrivain, d’écrire, etc., tu as ta vie d’artiste. Et tu produis en fonction de ta vie. Tu ne vas pas écrire en fonction du marché et ou de la tendance littéraire. T’écris ce que tu dois balancer au moment où tu le vis. Tu décides d’arrêter le temps. Et donc tu prends le temps d’écrire ce que tu as vécu ou ce que tu vis.
A. J. – Et du coup, s’il y a quelque chose que tu ne fais pas bugguer, c’est bien le temps, le présent ? alors qu’un écrivain plus traditionnel, il peut jouer avec, le manipuler plus facilement.
THTH – Ah oui, j’y pense pas tellement à ça… mais on ne détruit pas le temps.
L’idéal, ça serait d’écrire et de vivre en même temps.
Si tu veux, je vis à Paris – souvent je survis à Paris, d’où l’appellation « CREVARD » – et je vis des événements et contre/à travers/pour, je vais émettre un message. Souvent à base de slogans, d’aphorismes, que je vais envoyer sur ma communauté. Mon premier lectorat, ce sont les gens qui sont inscrits sur le Syndicat du Hype.
Si je pouvais me passer de l’écriture ou alors du clavier, je serais parfait. Là par exemple, tu es en train de m’enregistrer sur un téléphone, c’est exactement ça que je préfère, parce qu’en plus il y a un dialogue, on est en train d’écrire à deux, on est deux personnages, à Paris, ici c’est un décor et c’est ça la littérature du réel. C’est maintenant, tout de suite, tout ce qui peut arriver…
A. J. – D’ailleurs tu as fait du théâtre, tu y as travaillé… ça t’a influencé jusqu’à voir des personnages partout?
THTH – On est nos propres avatars par rapport à un système qui nous demande d’être camouflés. On ne peut pas être à poil, on ne peut pas être soi. On ne sait plus qui nous sommes. On a oublié qui nous étions, à la base. Parce qu’on est toujours en devenir et on est traversé par les contradictions, les contraintes, les bugs existentiels, les influences, les ordres quels qu’ils soient, et on ne sait plus du tout qui on est.
A. J. – Alors ta casquette, tes lunettes, ta barbe, etc. c’est un masque ? un costume ?
THTH – C’est une tenue de camouflage, il faut pas qu’on me reconnaisse.
A. J. – Justement… on te reconnait par ça !
THTH – Oui parfaitement, mais qui te dit que c’est moi ? Personne ! (rires) C’est simplement une panoplie que j’ai crée au fil du temps pour me protéger. Comme une armure de chevalier. Ça me rappelle un épisode de Bones, la série américaine, où le mec du FBI se fait analyser, et le psy lui dit : “si vous avez les chaussettes de telle couleur, c’est que vous êtes passif-agressif”. Donc je suis un énorme passif-agressif parce que je suis bariolé de toute sorte de couleurs. Mais au fond je suis hyper pacifiste ou hyper sensible ou hyper romantique, et j’ai pas du tout l’intérieur que mon extérieur émet. J’ai un look de biker et je ne me suis jamais battu de ma vie. Par contre sur le web, je me suis pas mal fighté.
A. J. – Mais alors t’es en plein dans l’amalgame entre la fiction et la réalité.
THTH – Ah bin ouais, mais y’a ce côté mythomane que j’ai construit au fur et à mesure des années, à Paris, par rapport à un délire, à une démystification de mes chimères, qui étaient donc virtuelles… des idoles. Malheureusement les jeunes qui arrivent dans la société aujourd’hui, ils n’ont comme repères et comme pères spirituels, que des idoles et non pas des maîtres. Ils ont des rock stars, des pop stars, qui en général sont dans un énorme ego trip, qui produisent une œuvre plus ou moins intéressante qui va te permettre de te consoler de tes frustrations et du fait que tu n’es personne. Et donc tu vas écouter tel artiste, parce qu’en fait toi-même tu ne joues pas ou n’écris pas. Et toute ma problématique, ça a été – à partir de rien, le néant, nobody – de devenir ma propre idole, ma propre rock star. Et j’ai donc construit au fur et à mesure Super Thierry, THIERRY THÉOLIER², devenu THTH.
A. J. – Sinon, tu es connu sur Paris pour ce personnage et son obsession du hype. Ça fait plus de dix ans que tu infiltres ce microcosme. Tu en es où maintenant ?
THTH – En fait je n’arrête pas de m’infiltrer dans les failles du système médiatique parisien, et je suis toujours en train de jouer. Je suis pas du tout casseur de hype ou justement un hypeux, mais plutôt un joueur. Mon matériau, c’est donc d’abord ma vie, et ensuite tout ce qui se passe autour de moi. Donc souvent, ce sont mes rencontres avec les artistes. Y’en a qui m’inspirent, d’autres qui vraiment me débectent. En ce moment je préfère m’inspirer de gens qui m’élèvent plutôt que de rentrer dans le système du casseur qui maintenant est devenu le terme hater, qui déteste.
Je continue à travailler avec différents protagonistes, acteurs, organes de diffusion, de spectacle, opérateurs culturels… et donc pour pouvoir être libre, j’ai crée mon propre système. C’est-à-dire que maintenant je coproduis des soirées, souvent en hommage à un artiste que j’ai choisi. Je fais la com’ tout seul, je monte la soirée avec mon savoir du web, du co-branding, et je préfère être dans la production que devoir me plier aux contingences contextuelles du milieu poétique.
Parce que je suis plus du tout dans ce milieu et donc j’ai plus du tout envie d’aller fréquenter les copains poètes qui sont obligés de se formaliser pour pouvoir exister, rentrer dans une continuité esthétique par rapport à la poésie sonore, etc.
Je fais ce que je veux avec mon savoir-faire qui est fait de balbutiements.
En fait je fais tout ce qu’il faut pas. Je fais tout ce que les poètes sonores ne peuvent pas faire parce que je me fais plaisir. Eux ils sont contraints. Tous les artistes se contraignent, comme s’ils se mettaient des lacets super serrés et ils n’osent pas balbutier, ils n’osent pas se planter. Il faut que tout soit hyper carré et il faut impressionner. J’aime bien impressionner aussi, mais pas en me faisant chier. Je préfère impressionner les gens en leur montrant que je m’amuse. J’adore le stand-up et si je pouvais encore me libérer du texte écrit et improviser comme ça, en free style complet avec des accessoires et ma verve, eh bien je serai arrivé à un art libre et brut.
Je ne reprends rien du tout. Je viens en touriste, en idiot, en ignorant total par rapport à la culture. Je ne connais presque rien.
Je ne sais pas chanter, je ne sais pas jouer d’un instrument, je suis à l’école maternelle par rapport à l’art scénique, par rapport à la pop, à tout ce savoir qu’il faut faire fructifier, capitaliser, mettre en forme, comme un produit. Je ne suis pas un produit, je suis juste quelqu’un qui prend un micro avec des trucs qu’il ne connait pas trop. J’ai pas le temps.
A. J. – Tu penses que tu es parvenu à terminer cette sorte de processus de destruction que tu semblais avoir mis en route ?
THTH – Non parce que je sais pas si j’ai détruit… Je suis pas théoricien. Mais ce que je fais, c’est enfoncer le clou jusqu’à ce que le mur tombe. Faire tomber les murs. Ma vision va après les murs.
A. J. – Et alors tu as choisi la hype parce que ça n’est qu’un mur parmi d’autres ? Plus voyant que les autres ? Ça a toujours été un prétexte ?
THTH – Tout à fait, c’est un ALIBI. Pour moi, la hype c’est la réussite. J’ai refait le parcours d’un Henry Chinaski, d’un Bukowski, par rapport à l’amour, la réussite… mais vraiment dans la vie connecté à un blog avec vraiment moi comme personnage. Donc je me suis vu être mon propre Chinaski à Paris. Non pas avec une machine à écrire et Gershwin à la radio, mais avec un modem, 56k au départ, de la New Wave, Joy Division, et donc je me suis trouvé mon propre personnage à force de ne rien capitaliser… simplement en me mettant en relation constante avec le contexte, le texte, le décor, moi-même et décrire tout ce que je pouvais écrire le lendemain, au moment où j’allais sortir, droit devant. Y’a rien de destructeur ou d’autodestructeur chez moi.
En fait, je suis juste un écureuil et je ramasse les noisettes que je ramène à la maison parce que j’ai une femme. J’aime beaucoup ce refus de détruire pour la connerie, pour rien du tout, je veux construire et j’ai avancé ce terme qui est de « casser ultime », c’est-à-dire ne pas sortir… rester avec sa meuf et être à deux simplement.
Je suis traversé pas plein d’états mais j’ai pas de dogme. Les gens qui viennent me voir pour avoir un dogme, ils sont mal barrés parce que je suis incapable d’édifier quoi que ce soit, je suis juste dans le présent.
A. J. – Tu as fait partie des premiers à utiliser le support informatique du blog. Est-ce que tu t’identifies aux geeks ?
THTH – Je n’aime pas trop le terme geek parce que c’est devenu une cible marketing. Je préfère le français “crevard”. S’il y a un mot américain que je préfère, c’est slacker ou nerd. Je préfère le nerd au geek parce que le geek maintenant c’est un consommateur passif, tout le temps boulimique. Je remets tout le temps toujours tout en cause. Lui il va se formaliser par exemple par rapport à Megaupload qui est fermé. On lui a enlevé des privilèges alors il se révolte pour ses petits privilèges de merde. Un truc que j’ai appris dans cette putain de vie, c’est qu’il faut toujours défendre les privilèges de la caste au-dessous de soi. Si tu commences à défendre les privilèges de ta propre caste, t’es un gros bourgeois. Si le chômeur ne défend pas le mec au RSA et si le mec au RSA ne défend pas le mec qui est sans toit, et bin ce mec là, il défend qui ? Personne, il est plus personne, tu n’es plus personne quand tu ne peux plus aider. Donc les types ils défendent leurs privilèges, je leur dis clairement qu’ils aillent se faire enculer par les chiens de l’Enfer. Ils n’ont plus d’amour.
Je trouve ça cool que Megaupload soit fermé.
A. J. – Quelque chose de très récurrent chez toi, c’est l’humour. Dans ta façon d’être, il y a presque ce qu’on pourrait appeler une Philosophie du grotesque.
THTH – On oublie trop facilement qu’on est tous grotesques, pathétiques, ridicules dans nos velléités, dans nos vies respectives. Chacun s’assoit sur un trône, et y’a toujours la même merde qui se déverse et ça sent pareil, rive gauche, rive droite, et bon après, tout n’est qu’alibi.
Je n’ai vraiment du respect que pour les scientifiques, les ingénieurs qui font des recherches sur l’existence, qui cherchent des vaccins… le reste c’est que du spectacle, de l’entertainment.
A. J. – Et tu penses parfois à quitter Paris ?
THTH – Souvent. Mon point de chute le plus hype que j’ai, c’est Palavas-les-Flots. Un patelin à côté de Montpellier, et là je suis loin de Paris. J’y vais depuis un an avec ma Beauté Sternbergienne, Rébecca Mafille. Et je suis parti à peu près un mois en alternance, 15 jours à Paris, 15 jours là-bas, pendant les vacances d’été. Et au moment de partir, j’avais qu’une seule envie c’était de rester à Palavas. Pêcher le muge, une espèce de merlan de vase, lire Jim Harrison, me baigner, prendre le soleil…
A. J. – Tu portes ta casquette là-bas ?
THTH – Ah non j’ai pas ma casquette, mais j’ai une autre casquette que j’ai trouvé à Angers, qui est une tête de mort avec des flammes, comme Ghost Rider. Je garde encore un peu mes flammes (rires). Quand je quitte Paris, j’y laisse ma casquette et j’en mets une autre, celle du touriste universel.
A. J. – On te présente comme un « artiste sans œuvres », qu’en est-il ?
THTH – Ça c’est moi qui me présente comme ça, par rapport à un essai de Jean-Yves Jouannais, qui date de 97 je crois : Artiste sans œuvres, I would prefer not to.
Ce que j’aime pas c’est le côté salarial, employé, bon petit élève du système, de la matrice. J’aime bien être en marge, en périphérie de l’atelier, de l’usine, du bureau, pouvoir être libre de rien faire. Et quand je dois faire quelque chose c’est quand je suis obligé, c’est l’ultimatum du loyer. Je me suis vu arriver à la Java pour une lecture et j’avais rien préparé du tout. Alors j’ai ramené trois grosses valises pleines d’accessoires qui m’inspirent en général. J’ai tout déversé sur la scène… J’aime bien le côté aléatoire, un peu chaotique.
Pour ma première lecture, j’avais pas de texte : j’ai joué au Jokari, j’ai percé un livre de marketing sur la culture jeune et j’ai dû lire à peine une phrase.
Depuis j’évolue, je ne reste pas dans la capitalisation d’un nihilisme cynique. Je suis pas du tout nihiliste en plus.
A. J. – Pour parler plus précisément de ton livre CREVARD, comment ça c’est passé ? On peut parler d’incipit quand on l’ouvre ? Tu t’es dit que t’allais commencer à écrire quelque chose et puis voir ce qui pouvait venir ensuite ?
THTH – Pas du tout. Les “Caméras Animales” m’ont appelé et m’ont dit qu’ils aimeraient faire un livre avec moi, avec tout ce que j’ai écrit sur le web. C’est une compilation.
Après on a réfléchi à ce qui pourrait être le plus percutant au départ, comme effet d’annonce. Alors au tout départ, c’est un applet d’une citation de Maurice Blanchot sur la nuit, rapportée par un poète qui est mort et qui s’appelait Efpé, alias Frédéric Pontonnier-Mény. C’est un message contextuel.
Ensuite, il y a une grande citation de DADA, remixée par mes soins. Et là c’est un appel au néant. Après on a pris le blog le plus violent qui était Casseur2hype. On a pris tous mes posts, on les a concentré, et à chaque slash (/), si tu veux c’est le vide, le temps qui passe, une contraction. Dans mes lectures, je prends parfois la feuille en acier qui permet d’imprimer le livre, et je la fais gronder comme le tonnerre, et je dis que ça c’est le slash. Alors je dis aux gens, “vous voyez le slash c’est une grande feuille de métal, comme une ligne, le temps est contracté”, et en général ça les surprend. J’aime bien l’idée de représenter scéniquement une ponctuation.
Mais c’est pas un système. C’est juste une idée que j’ai faite. C’est juste une manière de donner une hyperbole sonore à un signe.
A. J. – Et l’un de tes thèmes majeurs, c’est ce que tu appelles la « partouze sans sexe »…
THTH – C’est un oxymore vraiment adéquat. On peut pas mieux décrire une fête hype autrement que comme une partouze sans sexe, une « communion sans amour »… une expression que j’ai enfin mis dans mon texte « Morts, priez pour les vivants, ils ne veulent plus être des dudes ».
Alors ça c’est un texte que j’ai écrit le 2 novembre 2011, et je me suis inspiré du texte d’un curé de l’église Saint Christophe. Je l’ai tellement réécrit que c’en est devenu une sorte de blasphème… un « BLAST-FAME » qui en appelle à la conviction et à l’action des vivants pour être des saints, pour être respectés par leurs semblables, et avoir un honneur et rappeler qu’on est là pour faire de belles choses, artistiques ou pas, et pas se vautrer comme des porcs dans la fange hype.
A. J. – Il y a un vrai jeu avec la langue chaque fois, un vrai travail ?
THTH – C’est une vraie pratique plutôt. J’appelle ça des anti-slogans, ou des « slogans2merde ». En fait, j’ai un vrai talent de pubard. Non pas pour vendre, mais pour critiquer ou déconstruire. C’est une manière de compenser ou de rééquilibrer l’exagération publicitaire de la merde, de choses qui ne sont vraiment pas intéressantes, et de renvoyer ça à la gueule. C’est un boomerang. En fait je suis un anti-pubard qui renvoie des slogans contre l’époque qui ne fait que mentir et surévaluer de la merde.
Avec Crevard je voulais créer une rupture. J’ai donné toute mon énergie à créer quelque chose de vraiment en rupture avec la hype, la littérature, la poésie, et tout le monde s’en bat les couilles, ou presque, je bosse pour une niche de lucides…
A. J. – Est-ce que tu as la même opinion par rapport à la littérature contemporaine ?
THTH – Il faut faire gaffe de pas faire de généralités, de s’obnubiler la vision avec des produits qu’on t’a donné. Y’a des écrivains formidables qui bossent et qui se foutent de la cible, du lectorat, ils font leur boulot.
Mais par rapport à la rentrée littéraire, alors effectivement t’as surement des produits calibrés, et on sait lequel est le pire… on va taire son nom parce qu’on va lui faire de la pub…
A. J. – On peut en faire pour les autres alors…
THTH – Lisez Jacques STERNBERG, Toi, ma nuit : Faut revenir à des écrivains et pas à des ex- pubards rive-gauche. J’aime les poésies de Dan Fante, les nouvelles de Bukowski ou l’autobiographie de Jim Harrison comme celle que je lis dans ce café là, En Marge, parce que justement, on a l’impression qu’on est dans leur tête au moment où ils vivent et tu partages ça… Ça comble une solitude.
Jean-Paul DUBOIS aussi renvoie à l’existence dans ce merdier qu’est la société contemporaine, mais il y a du cœur et de l’amour…
A. J. – Le blog serait plus proche de la poésie que du roman ?
THTH – Ah évidemment. Enfin le blog c’est plutôt des lettres, tu envoies que des bouts de lettres. Et Laurence Rémila, le rédac chef adjoint de Technikart, il a vu juste en intitulant ma chroniques « Lettres de P.A.R.I.S. ». D’ailleurs j’ai appris à écrire, de manière naturelle, en écrivant des lettres à mes amis quand j’étais à Amsterdam. En me mettant dans des cafés, j’écrivais pendant des heures avec un café au lait et après on me disait : “ah tu devrais écrire…” Ça serait marrant de reprendre toutes les lettres que j’ai pu écrire quand j’avais 21 ans mais elles sont perdues maintenant…
Le blog il est là. Tu écris des lettres. C’est un genre épistolaire par excellence.
A. J. – Mais c’est dématérialisé, il n’y a plus l’objet de la lettre que tu trouves dans ta boite…
THTH – Ah mais bien sûr, j’ai pas perdu l’espoir d’écrire sur du papier avec une plume et j’enverrai des lettres, à une poste restante. Et mes abonnés iraient donc à cette poste et liraient donc mes lettres, chaque lettre. C’est un projet que j’ai…
Parce qu’à moment donné, malheureusement ou heureusement, il faut se rendre rare. Et donc par rapport au flux que je balance depuis 10 ans sur le web… il va y avoir un changement.
Et un truc important, c’est que la dernière lettre que j’ai écrite, c’était à Philippe Djian…
Bizarrement je me suis dit que j’étais peut-être l’anti-écrivain par excellence ou peut-être le dernier un peu rock’n’roll… Djian à l’époque il était considéré comme un écrivain rock. Mais qui dans la littérature est rock ? Pas qui écrit sur le rock, mais qui a une attitude punk par rapport à la matière même, à la discipline qu’est l’écriture. J’veux dire, un punk par rapport à un étudiant du conservatoire, il sait pas faire de la musique. Par rapport à la littérature, je sais pas écrire. C’est pour ça, j’ai jamais compris comment les gens n’avaient pas réfléchi à ça. Sur le fait de se demander ce qu’était une écriture punk. Pas une écriture à la façon punk, mais PUNK intrinsèquement. C’est-à-dire nihiliste par rapport à elle-même. Qui ne veut pas écrire en français soutenu, ni déconstruire le français d’une manière académique non plus.
« Crevard » à la base, c’est une insulte, comme « punk » avant que ça devienne une norme glamour de merde. Crevard est une insulte par rapport à l’académie de l’écriture normale, qui d’ailleurs n’a pas d’énergie. Ils ont pas de flux comme Céline avait. Leur musique est chiante, laborieuse, ils cherchent tous le Goncourt FRRRUCK OFF !
Derrière Crevard, y’a de l’impulsion, de l’électricité, de la vie. C’est comme le monstre de Frankenstein. Tu crées avec des bouts. Tu coupes, tu tranches et puis tu donnes cette impulsion qui heureusement n’est pas tout le temps destructrice. Et là par exemple c’est mon histoire qui me drive. Dès qu’une histoire de vie réelle ne crée pas une mythologie urbaine, elle m’intéresse pas surtout si ce n’est pas la mienne.
A. J. – Tu penses que l’écrivain doit créer son propre mythe ?
THTH – Qu’il puisse transmettre un mythe où justement le lecteur, le public, puisse se comparer à ce mythe et se dire “qu’est-ce que je suis moi par rapport à ça” et que ça lui donne envie de lancer son propre mythe… un ego-trip supérieur pour, à la fin, se rendre compte d’une chose…: On est tous des super-héros en puissance, des Dudes en devenir. Tuer le sucker en soi, telle est la mission de l’artiste en 2000 What The Fuck.
A. J. – Enfin dans tous les cas, tu es vraiment littéraire malgré toi…
THTH – Ah bin, si à la fin de ça, on me prend pour un écrivain, ça me fait de belles jambes !
(rires)
crédits photo : Collectif 5.6., L-M du Perray
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